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Le 7 juillet 2021

Alpha, la vie en point d’interrogation

Pierre Duquesne, journaliste, a animé en avril et mai des ateliers d’écriture à l’association la Passerelle (Vaux-le-Pénil), avec l’aide de l’équipe. 10 résidents ont couché par écrit des récits sur leur vie, leurs préoccupations, leurs rêves.

Nous vous invitons à découvrir le texte d’Alpha.

Un carnet. Un crayon. Il n’en fallait pas plus pour qu’Alpha, 23 ans, résident de la Passerelle, couche sur papier la vie sous Covid-19. La solitude, l’angoisse, et même la peur, ont pris d’assaut ce jeune homme dynamique, sociable, qui aime savoir où il va et ce qu’il peut faire.

R, comme réouverture.

F, pour fermeture.

Notre vie tient entre ces deux lettres, entre ces deux mots.
Moi, quand je suis chez moi, je me demande quand le confinement va finir. C’est un peu bizarre, ce virus. C’est quelque chose qui est là, et qui n’est pas là en même temps. Comme si quelqu’un avait du pouvoir sur toi, et toi, tu dois l’accepter.

La peur que j’ai sentie à l’intérieur de moi, je n’avais jamais connu ça de ma vie. Quand je sors, j’ai peur de contaminer quelqu’un qui est fragile, qui n’a pas le potentiel d’y faire face.
à Lidl, lorsqu’une personne prend un produit, je me demande si elle n’est pas contaminée. Le Covid, j’y pense aussi quand je prends les transports en commun. Si je pouvais éviter de les prendre, je le ferais, mais je n’ai pas d’autres moyens pour me déplacer.  Et une fois chez moi, je me demande quand va terminer cette période.

Quel est le monde d’aujourd’hui ? Celui de demain ? La vie ressemble à un gros point d’interrogation. Même les infos, ils ne savent pas… « Si la situations évolue, on va prendre d’autres mesures.» Ils disent ça, des fois. Ça rajoute à l’angoisse.

J’ai plein d’amis. S’il n’y avait pas le confinement, j’irais faire la rupture du jeûne à la mosquée, tous les soirs. Normalement, on colle les épaules et les pieds pour faire la prière, et maintenant, je fais l’iftar le plus souvent seul, dans mon appartement.

Je venais faire du sport à la salle polyvalente de la résidence, une fois par semaine. C’était très précieux, pour tous ceux qui n’avaient les moyens de se payer un abonnement à la salle de sport. Ce n’est plus possible, en raison des mesures sanitaires.

Mais ce que j’aime le moins, dans ma vie actuelle, c’est de ne pas savoir ce que je vais pouvoir faire. Me demander tous les jours ce que sera demain. Sans cesse estimer l’heure, pour être chez moi à 18 h 50. Programmer, et attendre. Avant la maladie, on pouvait se projeter. Maintenant, on peut dire « peut-être ». Si tout va bien. Faut attendre que ça arrive. Ce n’est pas une vie.

Même sur la formation, cela a des effets. Je dois commencer en septembre un apprentissage en menuiserie d’aluminium. J’espère que cela va bien se faire. Le Covid va-t-il tout remettre en cause ? Si la situation change, que va-t-il se passer ?

Le virus est là, et on espère qu’un jour, il disparaîtra. Mais on sera dans quel état ? C’est comme pour une blessure physique. On peut guérir, mais il y aura toujours une cicatrice.

Alpha